Le tournant de 1839
Lin
Tse-Hou, militaire et érudit, écrit à la reine Victoria pour lui demander
fermement de faire cesser le trafic d’opium qui prend des proportions
considérables. En réponse, « la très pure et très chrétienne reine Victoria »
fait savoir que l’Angleterre ne peut abandonner une source de revenus aussi
importante.
La situation entre les deux puissances se dégrade rapidement :
le 26 février 1839, Lin Tse-Hou ordonne de faire pendre un trafiquant chinois
devant les représentations cantonaises des commerçants britanniques. Malgré
l’hostilité d’une partie corrompue des élites chinoises, Lin tient bon et
organise la lutte dans la ville et la province de Canton. Il fait arrêter 1700
trafiquants de drogue chinois et confisque 70 000 pipes d’opium. Il publie un
arrêté où les marchands s’engagent à ne pas transporter d’opium et à laisser
inspecter leurs bateaux. Cette tracasserie supplémentaire précède l’arrivée, en
juillet 1839, des « 39 règles » dont les principales mesures irritent
particulièrement le gouverneur Elliot, représentant de la couronne anglaise en
Chine : peine de mort aux contrevenants, 18 mois accordés aux victimes pour
désintoxication et peines appliquées aux étrangers, ce qui viole le principe
d’extra-territorialité si cher aux Anglais. Après ces multiples pressions,
Elliot n’a d’autres choix que d’autoriser la remise de 20 290 caisses d’opium
aux autorités chinoises. Elles sont ouvertes puis avec l’aide de la population,
l’opium est réduit en pâte, délayé dans de grandes cuves installées sur les
plages et jeté à la mer le 7 juin 1839. Le préjudice de deux millions de livres
sterling fera l’objet de vives discussions au Parlement de Londres l’année
suivante.
Dans ce contexte de lutte contre la contrebande, les Anglais
doivent quitter non seulement Canton mais aussi Macao. Beaucoup d’entre eux se
réfugient dans des bateaux au large. Mais ils reçoivent des renforts navals et
le trafic peut reprendre rapidement dans quelques îles sous la protection de
l’artillerie des frégates britanniques Volage et Hyacinthe.
L’Angleterre se prépare à une guerre que l’on sait conduite
essentiellement pour protéger les intérêts des trafiquants de drogue. La
destruction des caisses d’opium du 7 juin 1839 fournit le prétexte attendu pour
déclencher les hostilités.
Première guerre de l’opium
Le 4 septembre 1839 a lieu la première bataille navale de la
guerre de l’opium dans la rade de Hong Kong. Les navires chinois sont
complètement débordés par la supériorité technique de la marine anglaise. Un
autre affrontement à Chuenpi, montre la faiblesse des jonques de guerre
chinoise. Lin Tse-Hou interdit le port de Canton aux navires britanniques en
décembre 1839, l’empereur le soutient et décide de « fermer pour toujours »
Canton aux Britanniques en janvier 1840.
Sous la pression des lobbys du textile et de l’opium, avec
l’accord du Parlement, le Premier ministre Palmerston envoie une lettre au
gouvernement de l’Inde afin de préparer l’escadre d’un corps expéditionnaire :
16 vaisseaux de ligne, 4 canonnières, 28 navires de transport, 540 canons et 4
000 hommes. L’état final recherché est très clair : obtenir l’indemnité pour
l’opium confisqué, pour le règlement de certaines dettes des marchands du
Co-Hong et pour celui des frais de l’expédition, faire ouvrir les ports de la
côte, Canton, Amoy, Fuzhou, Ningbo, Shanghai au commerce britannique libéré du
système du Co-hong. La mission aussi : mettre en place le blocus de Canton,
contrôler les embouchures du Yang-Tsê et du fleuve Jaune afin de paralyser le
commerce extérieur chinois et s’emparer de Pei-Ho, aux portes de la capitale.
L’escadre arrive donc au large de Canton en juin 1840. Un croiseur britannique bombarde Canton et occupe l’archipel voisin des Chousan : le célèbre concept de « diplomatie de la canonnière » est né. Les britanniques attaquent Canton mais sans succès, car Lin a fait planter des pieux retenus par des chaînes dans le port pour empêcher les bateaux d’accoster. Une milice efficace défend la ville.
Les Britanniques conquièrent alors une île de pêcheurs devant le delta de la rivière des Perles, juste en face de Canton, nommée « port parfumé » (Hong Kong) et en font une tête de pont. Les combats commencent réellement en juillet. Les frégates Volage et Hyacinthe défont 29 navires chinois.
L’escadre arrive donc au large de Canton en juin 1840. Un croiseur britannique bombarde Canton et occupe l’archipel voisin des Chousan : le célèbre concept de « diplomatie de la canonnière » est né. Les britanniques attaquent Canton mais sans succès, car Lin a fait planter des pieux retenus par des chaînes dans le port pour empêcher les bateaux d’accoster. Une milice efficace défend la ville.
Les Britanniques conquièrent alors une île de pêcheurs devant le delta de la rivière des Perles, juste en face de Canton, nommée « port parfumé » (Hong Kong) et en font une tête de pont. Les combats commencent réellement en juillet. Les frégates Volage et Hyacinthe défont 29 navires chinois.
Les
Britanniques capturent le fort qui gardait l’embouchure de la rivière des
Perles. La cour chinoise prend peur, Lin Tse-Hou tombe en disgrâce. Condamné à
l’exil en Lli, lugubre région de l’Ouest à la frontière Kazakh, il est remplacé
par un aristocrate, Qishan. Réhabilité en 1845, Lin Tse-Hou ne sera cependant
jamais devenu le Mustafa Kemal de l’Empire Chinois, capable de stopper et
défaire les Européens. Des négociations s’engagent alors à Canton : Qishan fait
démolir les fortifications de Lin, dissoudre la milice en novembre 1840 et
réduire le nombre de soldats. Les Britanniques revendiquent la reprise du
commerce, le remboursement des stocks d’opium détruits et Hong Kong pour sa
position stratégique et son port en eaux profondes. Qishan refuse. Les
Britanniques tentent de le faire plier en attaquant et s’emparant de quelques
ouvrages de fortification. Qishan prend peur et accepte les revendications.
La cour
chinoise pense que l’accord négocié par Qishan ne concerne que la reprise du
commerce. Lorsqu’il apprend que les exigences des Européens vont bien au-delà,
l’empereur décide de destituer Qishan et déclare la guerre aux Britanniques le
29 janvier 1841. L’empereur remplace Qishan par Yishan.
En 1841,
sur le plan militaire, les Chinois subissent revers sur revers, sauf lors de
l’engagement de milices. Yishan met plusieurs semaines à arriver à Canton.
L’assaut qu’il lance contre les Britanniques est repoussé et les Chinois se
replient à l’intérieur de la ville. Dans la province de Canton, les
Britanniques se rendent vite maîtres des endroits stratégiques : fin 1841,
prise de Chenhai, puis de Ningbo ; en 1842, prise de Chapu, de Wusung, de
Shanghai, de Chingkiang.
Les
Britanniques veulent encore faire pression sur les Chinois afin d’obtenir davantage.
En août 1842, une escadre britannique remonte le Yangzi Jiang jusqu’à Nankin,
obligeant le gouvernement de l’empereur Tao-kouang à capituler et à signer le
traité de Nankin le 29 août 1842. Le régime mandchou panique, au moment où
tombe Nankin, car sa survie est en jeu. Il dépêche des négociateurs. Yishan
demande l’armistice et une convocation est signée le 27 mai 1841. Elle engage
les Chinois à racheter Canton pour 6 millions de dollars aux Britanniques dont
un million le jour même. Mais elle repose sur un double malentendu utilisé par
les diplomates britanniques : les Chinois considèrent cette action comme un
prêt commercial alors que les Britanniques n’ont renoncé ni à l’indemnisation
des stocks d’opium ni à Hong Kong. Ce traité donne aux Britanniques le libre
commerce de l’opium, la fin de l’obligation de négocier uniquement avec les
Co-Hong et surtout la concession de l’île de Hong Kong qui ne sera rétrocédée à
la Chine que 155 ans plus tard, en 1997.
La
victoire facile des forces britanniques affecte gravement le prestige de la
dynastie Qing et contribue au déclenchement d’une très grave révolte, la
rébellion Taiping (1850-1862).
Deuxième guerre de l’opium
L’insurrection des Taiping qui fait presque basculer l’Empire,
est le signe que le paysan chinois ne peut plus supporter l’insuffisance et la
concentration des terres, l’accroissement des charges fiscales, la dépréciation
de la monnaie cuivre qui touche durement les plus pauvres, la transformation
des petits exploitants en ouvriers agricoles.
En 1854, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis contactent
les autorités chinoises et demandent des révisions des traités pour pénétrer
sans résistance dans Canton, étendre le commerce à la Chine du Nord et le long
du fleuve Yangzi, légaliser le commerce de l’opium et traiter avec la cour
directement à Beijing. La cour impériale rejette toutes les demandes de
révision.
Le 8 octobre 1856, des officiers chinois abordent l’Arrow, un
navire anglais enregistré à Hong Kong sous pavillon britannique, suspecté de
piraterie et de trafic d’opium. Ils capturent les douze hommes d’équipage et
les emprisonnent. Les Britanniques demandent officiellement la relaxe de ces
marins en faisant valoir la promesse par l’empereur de la protection des
navires britanniques, sans succès. Les Britanniques évoquent alors l’insulte
faite au drapeau britannique par les soldats de l’Empire Qing.
Ils décident d’attaquer Canton et les forts alentours. Ye
Mingchen, alors gouverneur des provinces du Guangdong et du Guangxi, ordonne
aux soldats chinois en poste dans les forts de ne pas résister. Les navires de
guerre américains bombardent Canton. Mais population de Canton et soldats
résistent à l’attaque et forcent les assaillants à battre en retraite vers Humen.
Le parlement britannique exige de la Chine réparation pour l’incident de
l’Arrow et demande à la France, aux États-Unis et à la Russie de participer à
une intervention multinationale. La Russie seule reste à l’écart.
Le 28 décembre 1857, les flottes combinées de l’Angleterre et de
la France prennent d’assaut Canton. Le 16 mars 1858, l’amiral français Rigault
de Genouilly, quitte Canton avec l’escadre pour la Chine du nord. Le 20 mai
1858, agissant de concert avec les Anglais, il s’empare des forts de Ta-Kou à
l’embouchure du Peï-ho dans le Petchili avant de remonter le Peï-ho jusqu’à
Tien-Tsin en direction de Pékin.
Le 24 juin 1859, les forces franco-anglaises tentent de pénétrer
dans Tianjin et se font refouler. Le 17 juillet 1860, ils débarquent sur le sol
chinois et prennent Tianjin le 2 septembre 1860. Le 5 octobre, anglais et
français campent sous les murailles de Pékin et pillent le « Palais d’été ». Le
13 octobre, Pékin tombe. Le 17 octobre, le « Palais d’été » est incendié. Le 24
octobre 1860, la Chine capitule et signe la Convention de Pékin.
Traités et suites
Le traité de Nankin, signé en août 1842 à l’issue de la première
guerre de l’opium, avait déjà accordé aux Anglais des privilèges commerciaux
considérables et l’île de Hongkong.
En 1860, la Convention de Pékin fait suite à une longue liste de
traités qualifiés par les Chinois de « traités inégaux ». Onze ports, dont
Canton, Shanghaï, Hankou et Tianjin, sont ouverts au commerce. Les droits de
douane sont limités à un maximum de 5 %. Les Occidentaux ont le droit de
circuler à l’intérieur du pays et acquérir des propriétés foncières sans payer
plus de 2,5 % de taxes. La Grande-Bretagne acquière la presqu’île de Kowloon en
1860 et obtient en 1898 un bail de 99 ans sur les Nouveaux Territoires (952 km²
constituant 80 % du territoire Hongkongais) et sur 235 îles au large de
Hongkong.
Les révoltes paysannes finiront par ébranler l’empire qui
devient une république le 12 février 1912, avec l’abdication du dernier
empereur de Chine, Puyi, alors âgé de six ans.
À l’exception peut-être des Incas et des Indiens d’Amérique
confrontés à l’alcool, les guerres de l’opium constituent un premier « modèle »
de l’action d’une substance psychotrope qui se trouve imposée par une nation à
une autre. Dans les années 1900, les ravages de l’opium sont considérables
puisque près de 25 millions de personnes dans le monde sur 1 milliard sont
consommateurs réguliers, à comparer avec la situation en 2000 où ce sont 25
millions de personnes parmi 7 milliards qui sont dépendants des drogues.
En Chine, pillages, famines, répressions, durent un siècle, de
1840 à 1949. Les chercheurs anglo-saxons évaluent le nombre des victimes dans
une fourchette oscillant entre 120 et 150 millions. L’arrivée de Mao au
pouvoir, avec son effroyable bilan de 80 millions de morts, ne met pas non plus
fin aux souffrances des Chinois.
169 pas
En 2009, pour marquer le début de la parade militaire à
l’occasion du 60ème anniversaire de la fondation de la République populaire de
Chine, les gardes d’honneur effectuent exactement 169 pas sur la place
Tiananmen.
Ils représentent les 169 années passées, de 1840 à 2009. « Pas à
pas, les hontes de la Nation sont lavées, avec la lutte d’innombrables héros
qui ont précédé notre époque » explique le Beijing News, faisant référence, entre
autres, à la guerre de l’Opium. Les Chinois semblent vouloir oublier les
atrocités de Mao puisqu’en 60 ans de pouvoir, le Parti Communiste « de marché »
a non seulement fait de leur nation de paysans soumis et affamés, la première
puissance industrielle et financière du début du XXIème siècle, mais il a aussi
redonné à la Chine la fierté et la souveraineté perdue à Nankin.
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